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Rôle de la gestion des risques dans la transition climatique

Par Mark Griffin

Gestion du risque, décembre 2024

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Cet article a initialement été publié le 29 août 2024 sur la page du Resource Centre for Sustainability and Climate Risk de la Global Association of Risk Professional’s (GARP). Il est reproduit ici avec l’autorisation de l’auteur.

L’article examine la façon dont de simples objectifs climatiques stimulent la « décarbonation sur papier », qui a de graves conséquences imprévues. Les gestionnaires de risques doivent en tenir compte et choisir soigneusement des indicateurs afin d’apporter leur contribution à la transition climatique.

La sensibilisation aux changements climatiques et à leurs répercussions actuelles et potentielles a rapidement pris de l’ampleur. La montée du militantisme climatique a engendré une tendance chez les entreprises publiques qui définissent des objectifs de réduction des émissions de carbone (voir la figure 1).

Aujourd’hui, la plupart des actionnaires et des employés s’attendent à ce que leur organisation fixe, sous une certaine forme ou une autre, des objectifs climatiques. Dans la plupart des cas, les objectifs énoncés sont simples et se déploient sur un long horizon, mais comportent peu ou pas de détails sur la façon dont ils seront réalisés.

Figure 1
Nombre cumulatif annuel d’entreprises ayant des objectifs et des engagements approuvés par la Science Based Targets initiative (SBTi)

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Source : Rapport de suivi 2023 de la SBTi

Cette tendance semble favorable, mais il faut reconnaître qu’elle peut comporter des effets secondaires imprévus – et souvent négatifs – qui sont associés à ces objectifs. Par exemple, comme l’a souligné Jo Paisley du Risk Institute de la GARP dans son récent article sur l’incidence du système financier sur les changements climatiques : « Prenons l’exemple d’un propriétaire d’actifs qui vend sa participation dans une contrepartie à forte émission, comme une centrale au charbon. Bien que cette vente puisse écologiser le portefeuille, elle n’aura aucune incidence sur les émissions réelles (et pourrait même aggraver la situation si l’acheteur prévoit d’augmenter la production de la centrale). »

Pour s’assurer d’opérer des réductions systémiques des émissions de gaz à effet de serre, il faut penser au niveau du système. C’est ce qu’a reconnu le Groupe de travail sur le plan de transition qui a signalé, en octobre 2023, que puisque les entreprises sont exploitées dans un système interdépendant, en mettant l’accent sur l’établissement d’objectifs de carboneutralité, ceci encourage la soi-disant « décarbonation sur papier ». Autrement dit, ces entreprises écologisent leur propre bilan d’une manière qui ne contribue pas nécessairement à l’économie verte.

Ainsi, au niveau du système – c’est ce qui compte pour la décarbonation –, le transfert de la propriété des actifs à forte intensité de carbone à d’autres acteurs du système, qui peuvent être moins en mesure d’assumer le risque ou d’éliminer progressivement leur utilisation, peut être improductif pour la transition à l’échelle de l’économie.

L’ampleur de la décarbonation sur papier

Malheureusement, la vente d’actifs à forte intensité de carbone à des intérêts privés, ou la décarbonation sur papier, est devenue la voie de moindre résistance dans le contexte actuel. Cela concorde avec le niveau croissant d’intérêt des institutions et des particuliers à investir dans les marchés privés (figure 2). Presque toutes les revues spécialisées ou tous les quotidiens mentionneront un autre gestionnaire de fonds, régime de retraite ou investisseur institutionnel qui privilégie les investissements privés.

Figure 2[1] (Bain & Company 2023) Variation prévue en % de la répartition des actifs non traditionnels privés au cours des trois prochaines années

L’un des défis réside dans le fait que les informations à fournir concernant l’empreinte carbone de ces actifs sont difficiles à obtenir. Toutefois, un récent blogue de MSCI souligne la concentration des entreprises à fortes émissions dans la gamme restreinte des informations à fournir provenant des fonds de capitaux privés. De plus, un rapport de Bloomberg fait état du nombre accru de transactions relatives aux combustibles fossiles conclues par des gestionnaires de crédit privé depuis que les banques se dessaisissent de ces actifs.

Une fois que les actifs à forte intensité de carbone sont vendus à des intérêts privés, ils seront gérés pour en retirer un rendement maximal et il est peu probable qu’ils soient à nouveau soumis à un examen public. Ainsi, d’un point de vue économique et social, le fiasco de la décarbonation sur papier se poursuit au vu et au su de tous.

Rôle de la fonction de gestion des risques

Supposons un instant qu’une entreprise s’est engagée à rabaisser un indicateur climatique particulier à zéro d’ici 2050, cependant sans qu’il soit accompagné de directives précises. En l’absence d’objectifs annuels précis, le fait de garder une certaine avance se traduit par une progression de l’indicateur d’environ 4 % par année. Dans cette situation, si les transactions de décarbonation sur papier réduisent l’indicateur de 10 %, cela représenterait deux ans et demi de « progrès » apparent.

L’« écologisation » réelle d’une entreprise, d’un processus ou d’un investissement est souvent difficile et exige beaucoup de temps, de capital et de risque. Cette lourde tâche tend à faire progresser les indicateurs climatiques beaucoup plus lentement que les transactions et les décisions stratégiques.

La fonction de gestion des risques d’une entreprise faisant l’objet d’un examen public servirait normalement à établir des indicateurs cibles internes qui s’harmonisent avec les engagements externes, qu’il s’agisse de perspectives sur les résultats, d’autres résultats financiers ou d’objectifs climatiques.

Toutefois, la fonction de gestion des risques doit également promouvoir des indicateurs, des seuils et des examens réfléchis pour s’assurer d’accomplir des progrès réels dans la réduction des risques climatiques, conformément au plan stratégique de l’entreprise.

Voici quelques concepts que les gestionnaires de risques ont intérêt à prendre en considération :

  • Veiller à indiquer clairement dans les indicateurs climatiques toute dépendance aux crédits carbone.
  • Une mesure d’efficacité équivalente, semblable à la mesure des ventes de magasins comparables effectuée par un analyste du commerce de détail, doit être calculée pour chaque unité commerciale distincte. Cette mesure montrerait les progrès réels et ne serait pas masquée par les changements de volume ou de composition des activités.
  • Dans la mesure du possible, certains indicateurs devraient se rapporter à la partie du plan stratégique pour la transition climatique qui peut être exécutée sans dépendance à des facteurs ou acteurs extérieurs. Certaines entreprises ont commencé à rater leurs objectifs climatiques, attribuant souvent cet échec à des facteurs hors de leur contrôle.
  • Il faudrait concevoir une évaluation globale rouge, jaune ou vert des progrès réels. (« Steering the Ship: Creating Board-Level Climate Dashboards for Banks » est une ressource utile pour déterminer l’information à fournir aux conseils d’administration.)

Dernières réflexions

Des indicateurs appropriés ne devraient pas servir à récompenser les transactions de décarbonation sur papier qui favorisent une progression immédiate vers les objectifs climatiques. La gestion des risques opérationnels devrait rejeter une approche de décarbonation sur papier, en accordant une attention non seulement aux émissions de l’entreprise et de ses chaînes d’approvisionnement, mais aussi aux entités présentant une exposition au risque de capital ou de crédit.

De cette façon, la fonction de gestion des risques ne ratera pas l’occasion unique de faire en sorte que la transition climatique soit efficace et bénéfique pour tous.

Les faits énoncés et les opinions formulées dans le présent article sont ceux de chaque auteur et ne correspondent pas nécessairement à ceux de la Society of Actuaries, des rédacteurs du bulletin ou des employeurs des auteurs.


Mark Griffin, CFA, FSA, est un chef de la gestion des risques et un chef des placements à la retraite. Il a travaillé des deux côtés de l’Atlantique et du côté des investisseurs et des firmes de courtage. Il détient la certification Financial Risk Manager et le certificat Sustainability and Climate Risk.

Note de fin de document

[1] Thomas Olsen, Daniel Jones, Antonio Rodrigues, Brenda Rainey, and Markus Habbel, “Private Asset Investing Desperately Needs New Market Infrastructure--Firms need to build robust digital infrastructure to keep up with demand from individuals,” www.bain.com, July 06, 2023, https://www.bain.com/insights/private-asset-investing-desperately-needs-new-market-infrastructure/.