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L’appariement des durations comme stratégie de gestion du risque donne de piètres résultats

par Edward J. Freeman

Gestion du risque, juin 2023

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L’appariement des durations est une stratégie de gestion du risque couramment utilisée dans le secteur de l’assurance et consiste à ajuster la duration (soit la sensibilité du prix à une variation de la courbe de rendement) d’un portefeuille d’actifs afin qu’elle soit égale à la duration du passif. L’hypothèse qui sous-tend cette démarche est que cela permet d’éliminer le risque d’intérêt. Autrement dit, lorsque la duration des actifs correspond à la duration du passif, on suppose que les actifs constituent une couverture contre le passif.

Cette démarche comporte toutefois des failles. Dans cet essai, je relève les échecs flagrants de l’appariement des durations et j’offre une solution de rechange. En gros, l’appariement des durations est une piètre stratégie, car les hypothèses de base de la méthode ne sont pas confirmées; en outre, il n’y a pas de mesure monétaire du risque et l’atténuation du risque ne peut être obtenue.

Écart de prix entre les actifs et les passifs

Habituellement, pour gérer un portefeuille de passifs dans le secteur de l’assurance, on affecte un portefeuille dédié d’actifs à un ensemble de passifs et le montant est égal à la valeur des passifs réglementaires ou à la valeur nette des passifs selon les principes comptables généralement reconnus (PCGR). La combinaison d’un groupe d’actifs et de passifs est communément appelée « segment ». Dans un cas comme dans l’autre (passifs réglementaires ou établis selon les PCGR), à l’intérieur d’un segment, le prix de marché des actifs n’égale pas la juste valeur ou le prix du passif. Pour couvrir adéquatement un passif, la variation de prix des actifs et la variation de prix des passifs doivent être égales lorsque le marché fluctue. Si les durations des actifs et des passifs sont égales, mais que les prix ne le sont pas, la couverture sera inefficace.

En outre, vu que la stratégie souvent présuppose l’élimination du risque par définition, on fait souvent peu de cas de la détermination du prix d’un passif. La détermination du prix d’un passif est un problème difficile, mais les PCGR et les IFRS donnent quantité de conseils en la matière. Si la mesure du prix du passif est mauvaise, la couverture sera inefficace.

Variations non parallèles de la courbe des taux d’intérêt

La définition moderne de la duration présupposait une faible variation parallèle de la courbe de rendement afin de permettre à la théorie de progresser. Toutefois, cette définition est irréaliste, car nous savons que la portion à court terme de la courbe de rendement est beaucoup plus volatile que la portion à long terme.

En corollaire, l’appariement des durations ne tient pas compte des variations de la courbure et la pente des rendements des bons du Trésor. Cette pente joue un rôle important, car de hauts taux à court terme peuvent entraîner des rachats de contrats du fait de l’existence de taux plus attrayants sur le marché. La courbure aussi joue un rôle important, vu que de nombreux portefeuilles d’actifs font l’objet d’une stratégie barbell (ndlt : haltères en anglais, stratégie qui permet d’investir dans des paniers d’actifs extrêmes comme les poids à chaque extrémité des haltères). Les actifs non liquides (à rendement supérieur) ont souvent une duration inférieure à celle du passif, et la duration globale est gérée par l’achat d’obligations publiques dont les durations sont plus longues que celles du passif.

L’industrie a tenté de résoudre ces deux problèmes au moyen de taux clés ou de durations partielles (sensibilité du prix à une variation du rendement à un seul point de la courbe de rendement), mais, selon mon expérience personnelle, les limites de non-appariement s’appliquant aux écarts des taux clés sont élevées et de faible valeur. Les dépassements de limites sont souvent ignorés ou les limites sont augmentées de façon à faire disparaître le problème, ce qui n’est pas une gestion idéale du risque.

Non-prise en compte de la convexité

En raison des options intégrées, la convexité (variation de la duration par suite d’un déplacement de la courbe de rendement) de nombreux passifs peut être extrêmement élevée et instable. Comme il est généralement impossible de couvrir la convexité d’un passif, les écarts par rapport aux actifs ne sont pas pris en compte. L’utilisation du seul premier ordre du développement de Taylor (appariement des durations) présuppose que le deuxième ordre et les termes supérieurs sont négligeables. C’est un euphémisme de dire que cette hypothèse est souvent inexacte. Il existe des convexités partielles, mais elles demandent bien des calculs et un point de vue par trop élevé. Bref, elles ne sont pas utilisées.

Duration du passif inatteignable

Bon nombre de nouveaux contrats d’assurance ont des durations supérieures à 70 ans, ce qui souvent fait en sorte que la duration d’un groupe ouvert de contrats approche ou dépasse 20 ans. Pour obtenir ce genre de duration globale de l’actif, il faut utiliser des obligations du Trésor dont les coupons ont été détachés d’une duration de 30 ans. Toutefois, pour pouvoir honorer les garanties minimales au passif, les sociétés d’assurances ont besoin de rendements supérieurs à ceux que leur procurent les titres du Trésor. Étant donné qu’une faiblesse des rendements est synonyme de pertes, la réponse habituelle consiste à pourvoir le portefeuille avec des placements à rendements plus élevés et une duration plus courte. Cela peut être approprié puisque l’achat d’actifs à rendement plus élevé permet de remplacer une perte sûre par un risque incertain (asymétrie des durations). La stratégie d’appariement des durations ne permet pas ce type d’atténuation du risque.

Risque au niveau de l’entité juridique

L’une des exigences réglementaires est que, en dernier recours, on doit utiliser tous les actifs de l’entité juridique pour acquitter tous les passifs. Cela signifie que même s’il est utile de segmenter les actifs et les passifs pour mesurer le revenu, cette segmentation est en quelque sorte fictive aux fins de la gestion du risque. Les positions de risque inévitables dans un segment, comme celle mentionnée précédemment, peuvent être compensées à l’intérieur d’autres segments. Si un segment comporte des actifs dont la duration est inférieure à celle du passif, le risque peut être compensé en ayant un autre segment dont la duration des actifs est supérieure à celle du passif. Si la stratégie retenue d’appariement des durations nécessite l’appariement des durations des actifs du second segment, la stratégie globale pourrait se traduire par une prise de risque plutôt que par une réduction du risque.

Absence de mesure monétaire du risque

Compte tenu de ce qui précède, même si une société effectue un appariement des durations, le risque n’est pas nul. La stratégie ne génère pas de valeur monétaire pour définir l’ampleur du risque. Certaines sociétés ont étendu le concept à la « duration en dollars », qui est le produit du prix, de la duration et d’une variation de 1 point de base. Cela les aide un peu, quoique plusieurs des problèmes susmentionnés subsistent, par exemple, la convexité.

Définition inappropriée du risque

L’économie financière se focalise sur la cohérence des prix du marché. Les mesures du risque financier et économique au moyen de petits chocs instantanés (comme la duration) présupposent que la variation des prix est la principale mesure du risque. Or, il se peut que ni l’horizon ni la mesure n’aient de l’importance dans une société d’assurances pour laquelle le revenu et la suffisance des capitaux attirent nettement plus l’attention. Dans une société d’assurances, la gestion du risque a pour but de gérer la probabilité d’insolvabilité et non l’arbitrage des prix. Les sociétés d’assurances évoluent dans le monde réel et doivent répondre à la question suivante : « C’est notre métier de prendre des risques, mais à quelle fréquence perdons-nous x $ en capitaux? » Les propriétaires et la direction pensent en vrais dollars en temps réel. Si la méthode ne permet pas de répondre à la question en vrais dollars en temps réel, c’est qu’elle est déficiente.

Implication

Quel est donc le résultat inévitable de ce qui précède? Malgré tout le travail, la société d’assurances ne sait pas vraiment la quantité de risque qu’elle prend. La gestion de l’actif‑passif (GAP), telle qu’elle est souvent structurée, est considérée comme quelque chose qu’une société doit faire, mais elle entraîne rarement de meilleurs bénéfices. La GAP devient un exercice de conformité et est perçue comme un frein pour les bénéfices. L’appariement des durations repose sur l’hypothèse implicite d’élimination des risques qui, outre son inefficacité, n’est ni possible ni souhaitable puisque les sociétés d’assurances ont pour mission de prendre des risques et de les gérer. Les sociétés d’assurances acceptent couramment le risque de taux d’intérêt de contrats dont la date d’échéance est de 100 ans.

Piste de solution : l’analyse du réel

Pour que la gestion du risque crée de la valeur, il faut que la mesure inclue des mesures du monde réel qui tiennent compte du risque tel que le perçoivent les propriétaires de l’entreprise. Une répartition stratégique et bien définie des actifs, qui tient compte de tous les risques de marché et de crédit, entraînera un niveau et une volatilité attendus des bénéfices et une croissance des capitaux sur un horizon défini. Une autre composition des actifs pourrait sans doute améliorer les bénéfices attendus, mais au prix d’une plus grande volatilité. La direction ne sait peut-être pas s’il est préférable d’avoir une asymétrie de duration de 0,25 ou 0,50 pour plusieurs segments et entités juridiques, mais elle prêtera certainement attention à ce que vous dites si vous déclarez, en raison d’une variation des actifs, que la société devrait s’attendre à toucher x $ en bénéfices annuels additionnels, mais aussi à perdre y $ en capitaux une année sur 20.

J’ai l’intention d’expliquer plus en détail comment une telle structure pourrait fonctionner, mais mon objectif ici est de sensibiliser les gens aux lacunes de l’appariement des durations et de commencer à réfléchir à de meilleures façons de gérer le risque.

Crédits de l’essai

Lorsque j’ai rédigé cet essai, ChatGPT d’OpenAI faisait les manchettes. J’ai donc décidé de faire l’essai du modèle, parce que, pourquoi pas? La première mise en garde que j’ai à faire, c’est qu’il utilise beaucoup de jargon, ce qui était à prévoir. J’ai fait de mon mieux pour supprimer le jargon et les ATL (acronymes à trois lettres) afin de rendre le texte plus lisible. J’ai aussi pris le parti de rendre l’essai un peu plus structuré et poli. Par exemple, j’avais mentionné que l’hypothèse de déplacements parallèles de la courbe des taux d’intérêt était « absurde », tandis que le modèle recommandait l’usage du terme « irréaliste », ce que, après réflexion, j’ai décidé d’accepter. Pour un essai d’ordre technique, ce changement de style semble approprié. Le modèle n’a pas tenté de modifier mes arguments, ce qui ne veut pas dire que ceux-ci sont valides, mais il est probable tout simplement qu’ils n’ont pas fait partie de ses données d’entraînement. Le modèle suggère par ailleurs d’adjoindre des études de cas, mais je n’ai pas suivi ce conseil, car je crois que les défauts de la méthode sont assez clairs. De plus, je ne voulais pas jeter le blâme à certaines sociétés ni souligner leurs faiblesses, car l’appariement des durations est une méthode qu’emploie l’ensemble de l’industrie. Enfin, j’ai fait lire mon essai à plusieurs de mes amis, spécialistes du risque ou non, et leurs suggestions ont été beaucoup plus utiles. D’autres aussi ont fait cette remarque au sujet de ChatGPT; c’est un outil remarquable, mais il n’en est qu’à ses débuts.


Edward J. Freeman, FSA, est directeur chez PVAJ Actuarial & Risk Services. On peut le joindre à Edward.freeman@outlook.com.