Modélisation des risques climatiques : Ce que vous devez savoir avant de commencer

par Steve Bochanski et Graham Hall

Gestion du risque, juin 2022

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La modélisation des risques climatiques occupe une place centrale. Comme les entreprises doivent de plus en plus montrer comment elles évaluent les risques liés aux changements climatiques, s’y adaptent et les atténuent, elles se demandent : Quelle est la bonne approche en matière de modélisation des risques climatiques pour notre entreprise?

Nous présentons ici un aperçu général des options et des outils disponibles. Nous partageons également des exemples de la façon dont les dirigeants utilisent la modélisation des risques climatiques pour décrire l’incidence des changements climatiques sur leurs activités et faire part de stratégies d’adaptation et d’atténuation.

Les arguments en faveur de la modélisation des risques climatiques

Les sociétés utilisent depuis longtemps diverses techniques de modélisation pour évaluer leurs profils de risque sous plusieurs angles. L’intégration du climat dans ces efforts aujourd’hui est une étape importante pour bâtir un avenir plus résilient afin de protéger vos installations, vos ressources, vos investissements et vos employés.

Aux États-Unis, les sociétés attendent de nouvelles règles en matière d’informations à fournir sur le climat de la part de la Securities and Exchange Commission (SEC), qui prépare l’information financière relative au climat. À l’échelle mondiale, le nombre d’organisations qui appuient la déclaration des risques et les possibilités liés au climat conformément aux recommandations du Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques (GTIFCC, ndlt : Task Force on Climate-related Financial Disclosures, TCFD) a presque doublé en un an. Selon les données du GTIFCC publiées en octobre 2021, plus de 2 500 organisations dont la capitalisation boursière combinée dépasse 25,1 billions de dollars appuient ses recommandations.

Au-delà des informations à fournir, positionner l’organisation pour qu’elle soit compatible avec un avenir sobre en carbone est devenu une nécessité opérationnelle pour les entreprises. Des feux de forêt, des inondations et des vagues de chaleur plus fréquents et plus graves interpellent également les entreprises à devenir plus résilientes face aux risques physiques liés aux changements climatiques. Alors que la société réagit aux changements climatiques, les entreprises sont confrontées à une foule de nouveaux risques et de nouvelles possibilités en raison de l’évolution de la technologie, des marchés et de la réglementation.

Au sein des entreprises, on observe l’évolution de nouvelles approches de quantification pour mesurer l’impact économique et financier des changements climatiques et montrer où la décarbonisation ouvre de nouvelles voies de croissance. Les entreprises peuvent choisir parmi une gamme croissante d’outils pour modéliser les risques et les occasions liés au climat et partager ces renseignements avec les investisseurs et d’autres parties intéressées, tout en les utilisant pour élaborer des stratégies d’affaires et de gestion des risques.

La modélisation des risques physiques et de transition liés aux changements climatiques

Les entreprises qui se lancent dans la modélisation des risques climatiques doivent garder à l’esprit que le GTIFCC recommande une vaste analyse englobant les risques physiques et de transition liés aux changements climatiques. Voici comment les risques climatiques sont habituellement partagés en deux grandes catégories:

Risques physiques

Les risques physiques actifs, ou ceux découlant de phénomènes météorologiques extrêmes comme les inondations, les tempêtes et les feux de forêt sont les risques auxquels se préparent habituellement la plupart des entreprises. Ces changements sont de plus en plus fréquents et sévères en raison des changements climatiques, et même dans les scénarios les plus optimistes, on ne s’attend pas à ce qu’ils s’inversent. Mais il est tout aussi important de modéliser la gravité et la trajectoire des risques physiques chroniques qui émergent sur une plus longue période—comme la hausse des températures moyennes ou l’élévation du niveau de la mer—et l’impact qu’ils peuvent avoir sur la production agricole ou la transmission des maladies.

Les outils de modélisation climatique intègrent des données de projection sur les changements climatiques afin de donner un aperçu des risques physiques probables qui peuvent avoir une incidence importante sur les entreprises. Certains de ces outils, comme les modèles de classement des risques de haut niveau, attribuent des cotes de risque aux emplacements, sans toutefois tenir compte de la façon dont les changements climatiques peuvent influer sur les cotes de risque au fil du temps. En revanche, les modèles de cotation des risques ajustés au climat intègrent les changements climatiques. Par exemple, ils attribuent des cotes de risque en fonction de la menace que représentent les inondations, les feux de forêt et les sécheresses aujourd’hui et à l’avenir dans différents scénarios de réchauffement. Les outils de modélisation des catastrophes, utilisés par le secteur des assurances, englobent des renseignements supplémentaires sur l’exposition pour donner un aperçu des paramètres comme les pertes physiques et l’interruption des activités.

Risques de transition

Les risques de transition sont des risques inhérents à la transformation à grande échelle requise pour passer à une économie sobre en carbone. Les sociétés sont confrontées au risque d’actifs abandonnés ou d’actifs dont la valeur s’avère inférieure aux prévisions en raison de la transition vers une économie sobre en carbone. Les risques liés à la transition découlent également de changements apportés aux politiques, comme une taxe carbone, ou de changements relatifs aux marchés, par exemple la modification du comportement des consommateurs. Dans un récent sondage, 76 % des consommateurs nous ont dit qu’ils mettraient un terme à leurs relations avec les entreprises qui traitent mal l’environnement et les communautés. En revanche, la transition climatique ouvre également la voie à des possibilités comme des modèles d’affaires fondés sur des technologies et solutions nouvelles, ainsi qu’aux avantages potentiels pour la réputation d’un chef de file en matière de durabilité.

Les outils les plus robustes de cette catégorie sont les modèles de risque qui évaluent les répercussions économiques et financières potentielles de la transition. En voici d’autres exemples : Des modèles d’alignement qui évaluent l’ampleur du décalage par rapport à un scénario de transition et qui l’utilisent comme indicateur de l’exposition au risque de transition; des modèles d’impact fondés sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) associées à une certaine activité commerciale; et des modèles d’établissement de cibles conçus pour aider les investisseurs à définir une stratégie d’investissement dans le climat.

Dans tous les modèles, des analyses de scénarios devraient être utilisées pour que les entreprises puissent être prêtes à modifier leurs stratégies en vue de devenir résilientes, peu importe l’avenir. Les scénarios vont du meilleur scénario soit la réduction de la hausse de la température à 1,5 ° Celsius (par rapport aux températures préindustrielles) au pire scénario de « fonctionnement normal ». (Voir le tableau 1)

Tableau 1
Éventail de scénarios liés aux changements climatiques

 

 

Agence internationale de l’énergie (AIE)

Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)

Réseau des banques centrales pour le verdissement du système financier
(RBCVSF, ndltr :Network for Greening the Financial System, NGFS)

Aperçu organisationnel

L’AIE recueille, évalue et diffuse des statistiques sur l’offre et la demande d’énergie, compilées en bilans énergétiques.

Le GIEC est l’organisme des Nations Unies chargé d’évaluer la science liée au changement climatique, en mettant l’accent sur le changement climatique physique.

Le RBCVSF est un groupe de banques centrales et de surveillants disposés, sur une base volontaire, à partager des pratiques exemplaires et à contribuer au développement de la gestion des risques environnementaux et climatiques dans le secteur financier, et à soutenir la transition vers une économie sobre en carbone.

Nombre de scénarios

Chaque année, l’AIE publie son rapport Perspectives énergétiques mondiales. Le dernier rapport comprend quatre scénarios :

  • Zéro émission nette d’ici 2050 (ZEN)
  • Scénario des engagements annoncés
  • Scénario des politiques énoncées
  • Scénario de développement durable (SDD)

Le GIEC diffuse régulièrement ses rapports d’évaluation, le plus récent étant le rapport d’évaluation 6. Ce rapport contient cinq scénarios :

  • SSP1 : Durabilité (Sur la route verte)
  • SSP2 : Au milieu de la route
  • SSP3 : Rivalité régionale (une route semée d’embûches)
  • SSP4 : Inégalités (une route divisée)
  • SSP5 : Développement alimenté par des combustibles fossiles (emprunter l’autoroute)

Le RBCVSF publie régulièrement des scénarios mis à jour. Le dernier groupe de scénarios de la phase 2 comprend six scénarios répartis en trois groupes :
Scénarios de transition ordonnée

  • Zéro émissions nettes en 2050
  • Sous 2 °C

Scénarios de transition désordonnée

  • Écart zéro émissions nettes
  • Transition retardée

Scénarios rouges à l’échelle mondiale (ndlt : hothouse world)

  • Participations déterminées à l’échelle nationale
  • Politiques actuelles

Facteurs couverts

  • Offre et demande d’énergie par pays et par type de production
  • Prix de l’énergie
  • Mesures publiques de l’efficacité énergétique
  • Prix du CO2
  • Croissance de la population mondiale
  • Températures moyennes et extrêmes
  • Précipitations
  • Vitesse du vent
  • Élévation du niveau de la mer

 

  • Impact sur le PIB
  • Prix du carbone
  • Chômage
  • Capacité de production
  • Inflation/chômage

Applicabilité

Utilisé pour la modélisation énergétique afin de comprendre l’impact sur l’économie mondiale et les répercussions financières futures sur les entreprises

Utilisé pour la modélisation des risques physiques, y compris la modélisation des phénomènes extrêmes (aigus) et la modélisation des événements chroniques

Utilisé par les institutions financières pour comprendre les répercussions économiques sur leurs activités

Source : Analyse de PwC

Comment accroître la résilience grâce à la modélisation des risques climatiques

La modélisation des risques climatiques vise de nombreux objectifs, dont l’éclairage des risques et des possibilités dans les portefeuilles d’investissement, l’intégration de stratégies d’adaptation, et l’amélioration des informations à fournir et la gestion des répercussions climatiques.

Voici comment nous travaillons avec les sociétés pour les aider à modéliser les risques climatiques :

  • Une société mondiale de production d’engrais en quête d’une plus grande résilience : Nous avons aidé cette société à évaluer les répercussions des risques liés aux changements climatiques et les occasions qui s’offrent à elle à l’échelle mondiale. Notre analyse de scénarios de risque physique a permis de modéliser la façon dont les changements climatiques pourraient influer sur la fréquence et la gravité des risques selon différents scénarios climatiques et horizons temporels, et de quantifier l’impact potentiel à chaque emplacement de l’entreprise. Notre analyse de scénarios de risque de transition a permis de quantifier l’impact des taxes carbone directes sur les émissions de GES selon des scénarios climatiques et des horizons temporels définis. Nous avons aidé la société à évaluer les économies potentielles associées à la réduction des émissions de GES et à leur incidence sur sa stratégie globale.
  • Une société d’assurances cherche à évaluer l’exposition de son portefeuille de placements au risque lié aux changements climatiques : Cette société a tenu compte des nombreux leviers des risques climatiques selon différents scénarios pour créer une cote de risque pour chaque actif. Cette analyse a donné à la société une vue d’ensemble des risques et des possibilités de son portefeuille dans différents secteurs d’activité et régions.
  • Une société de télécommunications d’envergure mondiale intègre la gestion des risques climatiques à sa stratégie, à sa culture et à ses activités commerciales : Nous avons aidé la société à atteindre son objectif de transparence en ce qui concerne les risques et les possibilités liés au climat et nous avons joué un rôle clé dans la publication du rapport du GTIFCC sur ses activités. Nous avons analysé en profondeur la gouvernance, la gestion des risques, la stratégie, les mesures et les cibles de la société afin d’examiner les risques et les occasions d’affaires à court et à long terme liés aux changements climatiques. Dans le cadre de cette initiative, nous avons effectué une évaluation pilote de modélisation des risques physiques pour un échantillon des actifs stratégiques de la société. La modélisation a aidé la société à comprendre comment les risques climatiques peuvent s’intensifier à ces endroits au fil du temps et selon les deux scénarios climatiques futurs sélectionnés. Nous avons également examiné l’impact des dangers climatiques tels que les ouragans, les feux de forêt et les inondations à ces endroits. Notre analyse a jeté les bases de l’élaboration de plans stratégiques pour la gestion des risques climatiques, la mise en lumière de nouvelles possibilités et la façon d’intégrer les risques climatiques aux approches existantes de gestion des risques d’entreprise, à la stratégie opérationnelle, aux activités, à la gestion du capital et à la planification de la continuité des activités.
  • Une société mondiale du secteur de l’énergie modélise les risques climatiques à l’appui des informations à fournir en vertu du cadre du GTIFCC : Nous avons modélisé l’impact d’un prix du carbone sur un portefeuille d’actifs de près de 100 installations de production dans le monde entier, et sur diverses plateformes complexes de croissance stratégique afin de démontrer la solidité du plan de transition de la société pour les investisseurs. Nous avons également simulé un portefeuille d’actifs futurs en fonction des variations des effets relatifs aux changements climatiques dans le monde, tout en tenant compte de l’approche stratégique de la société dans la sélection des emplacements futurs de ses actifs.

La modélisation climatique comme avantage stratégique

Bien que les attentes à l’égard des informations sur les risques climatiques soient le facteur d’action le plus courant, les grandes sociétés ont commencé à utiliser les résultats de la modélisation des risques climatiques pour éclairer leurs décisions stratégiques, qu’il s’agisse de prospérer dans un avenir à faible empreinte carbone ou de résister aux impacts physiques d’un climat en hausse. Comprendre les possibilités et les risques auxquels votre société pourrait être confrontée en raison des changements climatiques est un processus évolutif, mais voici cinq mesures que toutes les entreprises peuvent prendre aujourd’hui :

  • Surveiller l’évolution des attentes en matière de réglementation et de celles des parties intéressées.
  • Dégager les principaux risques et possibilités pour votre société en effectuant une évaluation qualitative des risques.
  • Explorer les options disponibles en ce qui concerne les sources de données, les outils et les fournisseurs à l’appui d’un exercice d’analyse quantitative de scénario.
  • Formuler une stratégie pour comprendre les risques et les possibilités liés aux changements climatiques et les annoncer aux parties intéressées internes et externes.
  • Commencer à élaborer un plan—feuille de route, analyse de rentabilisation, financement, etc.—pour mettre en œuvre une évaluation rigoureuse des risques et des possibilités liés aux changements climatiques.

Les faits énoncés et les opinions formulées dans le présent document sont ceux de chaque auteur et ne correspondent pas nécessairement à ceux de la Society of Actuaries, des rédacteurs du bulletin ou des employeurs des auteurs respectifs.


Steve Bochanski, FSA, MAAA, CERA, est chef de la modélisation des risques climatiques auprès de PwC aux États-Unis et chef de l’actuaire mondial du futur. Vous pouvez le joindre à steve.bochanski@pwc.com.

Graham Hall, FIA, est administrateur auprès de PwC et membre du groupe de travail de la CAS sur les changements climatiques. Vous pouvez le joindre à graham.hall@pwc.com.